L'histoire d'Idéal du Gazeau

L'histoire commence en Vendée


Idéal du Gazeau a vu le jour le 14 février 1974 dans les herbages d'Henri et Guy Fradin, un père et son fils, éleveurs, basés entre Challans et Saint Jean de Monts en Vendée, au milieu des marais. Idéal du Gazeau doit son nom à la rivière "Gazeau" qui traverse ces terres et qui est devenu le "label" de l'élevage des Fradin.

Idéal du Gazeau est un fils d'Alexis III, un ancien cheval classique, et de Venise du Gazeau, une poulinière aux origines modestes. Entrainé par André Ollivaud, dont il était l'un des bons chevaux, Alexis III, pendant sa carrière de course, avait marqué le jeune apprenti qui s'occupait de lui à Avranches, Eugène Lefèvre. Après un début de carrière démentiel, Alexis III n'a plus été que l'ombre de lui même. Depuis, Eugène Lefèvre lui cherche un héritier.

Devenu entraîneur pour cinq copropriétaires associés à Saint-Jean-le-Thomas dans la Manche (Pierre-Jean Morin, minotier, Marcel Lefranc, éleveur de volailles, André Nivard, éleveur de volailles, Michel Augrain, boucher-volailler, Henri Redon, restaurateur et patron de l'Hôtel de la Plage), Eugène Lefèvre cherchait un produit d'Alexis III quand on lui signala l'élevage Fradin qui en possédait un. Accompagné de Pierre-Jean Morin, gérant de la Société Civile d'Exploitation Agricole du Haras des Dunes, Eugène Lefèvre fit le voyage jusqu'à la ferme du Gazeau, et, alors qu'on lui présentait quatre poulains dans une stabulation, il remarqua immédiatement un poulain "tout noir avec cette liste blanche en tête et puis un oeil vif...", la copie conforme d'Alexis III ! Lâché en pâture avec ses congénères, le poulain noir se démarqua aussitôt des autres par ses allures.

Les Fradin n'étaient pas vendeurs, aussi Eugène Lefèvre, qui tenait absolument à avoir ce poulain, dut négocier l'acquisition d'une demie soeur d'Idéal du Gazeau, nommée Huppe du Gazeau, elle aussi fille d'Alexis III, le tout pour 20.000 francs, dont 15.000 comptant, les 5.000 francs restants devant être versés à la qualification du poulain.

Une extraordinaire carrière


Coup d'essai, coup de maître

Au printemps 1976, Idéal fait ses premières foulées sur la plage. C'est là, face au Mont Saint-Michel, qu'Idéal va devenir un cheval d'acier, ses tendons et ses muscles fortifiés dans l'eau froide de la Manche après 40 kilomètres de promenade quotidienne. Plus tard, aucun trotteur dans le petit effectif d'Eugène Lefèvre ne serait capable de suivre Idéal à l'entraînement, hormis le modeste Le Taillis, monté et au galop.

Le poulain ne cesse de progresser et très vite son entraîneur le présente à la qualification sur l'hippodrome de Caen, où il réussit très aisément le premier test de sa carrière en 1'27''.

Eugène Lefèvre a vu juste : Idéal du Gazeau s'annonce comme un bon poulain. Mieux même : il dépasse les espoirs placés en lui.

Le petit cheval noir débute son extraordinaire carrière à deux ans, le 26 août 1976 sur l'hippodrome de Marville à Saint Malo. Coup d'essai, coup de maître : Idéal l'emporte facilement. Le 18 septembre, Idéal du Gazeau se retrouve en piste sur l'anneau de Graignes. Il s'impose de nouveau facilement mais après enquête des commissaires, est rétrogradé à la deuxième place pour ne pas avoir conservé sa ligne dans la phase finale.

L'entourage d'Idéal décide alors de ne plus faire courir le cheval en province et d'aborder au plus vite la conquête du Temple du Trot : l'hippodrome de Vincennes.

Le 16 décembre 1976, Idéal dispute sa première course à Vincennes. Alors qu'il est en tête avec cinquante mètres d'avance dans le dernier tournant, surgit au grand galop Ission, qui s'est débarrassé de son driver. Il ne pourra jamais dépasser Idéal, resté au trot, qui s'impose dans l'excellent chrono de 1'21''9. L'impression visuelle laissée par le petit cheval noir résistant à son adversaire au galop marque à cet instant les nombreux observateurs présents sur l'hippodrome.

Désormais, Idéal du Gazeau va suivre la filière classique et affronter les meilleurs produits de sa génération.


Le meilleur de sa génération

A l'âge de trois ans, Idéal du Gazeau s'adjuge le Prix Maurice de Gheest et le Critérium des Jeunes en prélude à trois autres victoires le menant au Critérium des 3 Ans le 18 décembre 1978. Ce jour là, il y a foule pour voir trotter le petit phénomène, que l'on compare déjà à Hadol du Vivier. Malheureusement, tous les concurrents calquent leur course sur celle d'Idéal du Gazeau, l'obligeant à supporter seul le poids de l'épreuve. Exténué, il se fait doubler sur le poteau par Ivory Queen et Italia du Pont. Ce sera le seul Critérium qu'Idéal ne remportera pas.

Le jeune champion commence l'année suivante une campagne fantastique. Il court à onze reprises et s'impose neuf fois. Lauréat du Critérium des 4 Ans, il s'illustre également à l'étranger en battant les meilleurs chevaux européens de sa génération dans l'International Golden Shoe en Finlande, réalisant l'extraordinaire chrono de 1'16''1.

Le 28 janvier 1979, trente mille personnes se pressent à Vincennes pour assister au duel qui va opposer Idéal du Gazeau à Hadol du Vivier dans le Prix d'Amérique. Après un parcours caché, Idéal du Gazeau a emboîté le pas de Fadet dans la montée, puis Eugène Lefèvre, sentant que son cheval allait facilement, l'a lancé tout à l'extérieur à l'intersection des pistes. A dix mètres du poteau, Idéal prend l'avantage. Et puis, High Echelon, drivé par Jean-Pierre Dubois, passe à la corde. Idéal termine deuxième alors qu'il n'a que cinq ans, devant des champions comme Fakir du Vivier ou Grandpré.

L'entourage de "Petit Bonhomme" fait alors l'impasse sur les autres internationaux du meeting d'hiver afin de permettre au cheval de récupérer. Cette politique, dictée par la sagesse, permet à Idéal du Gazeau d'engranger six belles victoires durant l'année, dont le Critérium des 5 Ans et le Prix de l'Etoile.


Le globe "trotteur"

La tentative d'Idéal du Gazeau dans le Prix d'Amérique 1980 est décevante, il termine huitième, payant en fin de parcours les efforts généreux qu'il a fournis jusqu'à l'entrée de la ligne d'arrivée. Cette année là, c'est surtout hors de nos frontières qu'Idéal s'illustre.

Parti disputer la Lotterie à Naples début avril, Idéal, particulièrement éprouvé par un long voyage en van, est victime d'une violente crise de coliques deux jours avant la course. Veillé nuit et jour par Marcel Hernot, son lad, Idéal est soigné énergiquement et parvient à remporter sa batterie qualificative, avant de sombrer dans la finale, terminant cinquième de l'autre Français au départ, Hillion Brillouard.

Bien remis de ses ennuis intestinaux, Idéal reprend le cours de ses victoires et remporte notamment l'Elitloppet à Solvalla en Suède et l'Elite Rennen à Gelsenkirchen en Allemagne. Ses brillantes prestations en terres étrangères lui permettent ainsi de terminer en tête du Grand Circuit International.

Fin 1980, des bruits alarmants circulent : Idéal du Gazeau aurait de sérieux problèmes de jambes. Victime d'une fêlure d'un métacarpien, le champion est mis au repos et soigné. Il fait sa rentrée, quatrième, dans le Prix de Bourgogne que remporte Ianthin. Le 25 janvier 1981, à l'issue d'une course poursuite à couper le souffle entre lui et Jorky, Idéal du Gazeau entre par la grande porte dans la légende de Vincennes en remportant le Prix d'Amérique.

Suivent des victoires dans le Critérium de Vitesse de la Côte d'Azur à Cagnes sur Mer, où il domine largement Iris de Vandel, un hongre de très grande classe ; le Grand Prix de la Côte d'Azur à Turin, le Prix de l'Atlantique à Enghien, abaissant à cette occasion le record de l'épreuve à 1'15''8, puis le Grand Prix du Sud-Ouest à Agen.

Son éternel rival, Jorky, le domine cependant deux fois : dans l'Elitloppet et la Copenhagen Cup.

Au mois d'août, Idéal du Gazeau s'envole pour les Etats-Unis afin d'y disputer l'International Trot, sur le mythique hippodrome de Roosevelt Raceway. Il s'impose facilement devant Jorky, tous deux offrant ainsi à la France un formidable doublé.


Le meilleur trotteur européen

L'année 1982 commence mal pour Idéal du Gazeau. Battu dans le Prix d'Amérique, il subit de nouveau la loi d'Hymour dans le Prix de France. Pierre-Jean Morin accuse alors Eugène Lefèvre de ne pas respecter les ordres. Eugène Lefèvre quant à lui explique ces défaites du champion par un hiver très rigoureux : le sol gelé n'était pas propice pour entraîner le cheval ; et malgré son souhait de disputer une épreuve préparatoire afin d'amener Idéal du Gazeau en condition sur le Prix d'Amérique, les propriétaires ont refusé. Idéal remporte néanmoins le Prix de Paris, montrant ainsi qu'il avait besoin de courir pour retrouver sa meilleure forme.

Puis une nouvelle campagne européenne. Les foules se déplacent en masse pour voir ce petit cheval français qui a belle allure avec son bonnet et ses bandages bleus, et qui se permet de terrasser les meilleurs trotteurs du moment.

Le 31 mai, malgré une deuxième place dans sa batterie qualificative, il remporte l'Elitloppet à Solvalla, dans la banlieue de Stockholm en Suède, établissant à cette occasion un nouveau record personnel en 1'13''2.

La semaine suivante, il s'impose dans la Copenhagen Cup au Danemark, trottant les 2.011 mètres en 2'28''8, soit le chrono de 1'14'', s'emparant ainsi non seulement du record général du Danemark mais également du record du monde sur la distance.

Le 28 août, Idéal est à New York pour disputer l'International Trot. Devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, il défait l'élite internationale du trotting. Jamais, depuis la championne Une de Mai, un trotteur français n'a été aussi populaire outre Atlantique.

Idéal termine sa campagne européenne par des victoires dans le Grand Prix d'Aby à Göteborg et le Gran Premio dei Nazioni sur l'hippodrome de San Siro à Milan, portant ses succès en Europe à six pour l'année 1982. Idéal du Gazeau est sacré meilleur cheval d'Europe pour la troisième fois, rejoignant ainsi la fameuse Une de Mai dans l'histoire du trot européen.


Le "Roi Idéal"
 
En 1983, Idéal du Gazeau a neuf ans. Le poids des années commence à se faire sentir. Battu dans le Prix de Bourgogne, puis dans le Prix de Belgique, il semble ne plus avoir tout son mordant. Beaucoup craignent qu'il ne perde sa couronne au profit de Lurabo, un jeune trotteur très doué.

Dans le Prix d'Amérique, le champion rassure ses supporters en ralliant le poteau d'arrivée devant ses adversaires. La joie affichée par les fans du cheval est de courte durée : une sirène retentit, il y a enquête. Dans la dernière ligne droite, Idéal du Gazeau a esquissé quelques foulées de galop. Tout Vincennes retient son souffle. Finalement, l'arrivée est maintenue : Idéal avait été remis au trot à temps.

La suite de la carrière du crack est moins brillante. Il semble un peu las des combats qu'il doit mener. En juillet, il part aux Etats-Unis pour y disputer un nouvel International Trot. Les journaux français ne croient plus en lui. Ils font surtout grand cas de son compatriote Ianthin, qui affiche une forme insolente.

Avant la course, comme il en a l'habitude, Eugène Lefèvre parle à son cheval. Idéal couche les oreilles, comme pour montrer qu'il a bien compris ce que vient de lui dire son vieux complice. Et le trotteur aux bandages bleus réussit l'exploit : devant vingt mille personnes médusées, il devient le premier cheval au monde à remporter le titre pour la troisième fois.

Idéal confirme cette belle prestation en remportant une semaine plus tard la Challenge Cup, la revanche du Championnat du Monde.

Il totalise désormais plus de 15 millions de francs de gains, devenant ainsi le trotteur le plus riche de toute l'Histoire des courses.

Adieu la France


En décembre 1983, le petit cheval noir se prépare pour sa dernière participation au Prix d'Amérique quand la presse, la radio, la télévision annoncent l'incroyable nouvelle. C'est officiel : l'extraordinaire carrière d'Idéal du Gazeau arrive à son terme : le champion a été vendu en Suède. Le journal FRANCE SOIR titre même : "France, ton Idéal fout le camp !". On n'ose le croire : des milliers de turfistes écrivent aux journaux pour protester, mais il faut bien vite se rendre à l'évidence : Idéal du Gazeau, le trotteur français le plus célèbre du monde, a été vendu pour 15 millions de francs à des éleveurs suédois.

Le 29 décembre 1983, Idéal du Gazeau quitte le Haras des Dunes. Après une halte à Grosbois, il est dirigé vers le Haras d'Alebäck en Suède. Pour faciliter son acclimatation, des pommiers ont été plantés dans son futur paddock et Marcel Hernot, le fidèle lad, qui a accompagné le cheval, reste quelques semaines à ses côtés. C'est lui qui fait alors trottiner le champion, chaque matin, par une température de moins seize degrés.

Le 29 janvier 1984, Idéal du Gazeau revient spécialement de Suède pour ouvrir le défilé du Prix d'Amérique. L'idole de Vincennes est venue faire ses adieux à son public. Sa silhouette noire se dessine une dernière fois sur les écrans de toutes les télévisions françaises. Le petit cheval noir, celui qui a su gagner le coeur des turfistes et devenir le trotteur le plus populaire de tous les temps, est venu fouler une dernière fois le mâchefer de la piste du Plateau de Gravelle sous les clameurs de la foule.

Idéal du Gazeau commence ensuite sa seconde carrière au Haras d'Alebäck. Liste pleine dès ses débuts d'étalon, il obtient le titre de meilleur père de deux ans en Suède aussitôt que ses premiers poulains sont vus en piste. Il engendrera au total plus de 1.300 produits.

Epilogue


D'Idéal du Gazeau, les turfistes disaient qu'il possédait la "cinquième vitesse" : cette faculté d'accélérer quand les autres chevaux donnent leur maximum.

Idéal du Gazeau c'est aussi 98 courses, 61 victoires et seulement cinq fois non placé, deux Prix d'Amérique, deux Elitloppet, trois Championnats du Monde consécutifs, plus de 15 millions de francs de gains et un formidable record : 1'13''2 établi à Solvalla en ... 1981 !

En 1993, Idéal a 19 ans. Après 10 ans d'exil suédois, il revient en France le 30 janvier, pour stationner au Haras de Retz à Gonneville en Auge dans le Calvados.

En août 1995, Idéal du Gazeau est de retour à Saint-Jean-le-Thomas lors d'une fête du cheval. Fêté aux Hauts, avec son ancien entraîneur, Eugène Lefèvre, et son ancien lad, Marcel Hernot, qui l'ont suivi tout au long de sa carrière, il fit le tour du village, acclamé par les habitants et de nombreux admirateurs. De lui-même il alla sur les lieux du restaurant de la Plage où on lui offrait autrefois une salade. Des habitués y avaient pensé...

Idéal sera étalon en France pendant trois ans, avant d'être cédé en juillet 1996 à une écurie italienne, et revendu presque aussitôt à un industriel allemand.

En 1997, le Prix d'Amérique voit son édition marquée par le retour du prodige par l'intermédiaire de deux de ses produits venus de Suède : la jument Lovely Godiva et le mâle His Majesty. Lovely Godiva remportera même une semaine plus tard le Prix de France, une course qu'Idéal du Gazeau n'a jamais gagnée. Ultime pied de nez du champion expatrié envers les éleveurs français qui n'ont pas cru en lui.

Loué en Hollande, Idéal du Gazeau honore une ultime jument le 27 février 1998 au Haras de Flevo Farm avant de s'écrouler, terrassé par une crise cardiaque. Il avait connu des soucis d'ordre respiratoire les quelques jours précédents.

Idéal du Gazeau laisse derrière lui une descendance talentueuse, mais nombreux sont les admirateurs du petit cheval noir qui pensent que le destin de tous ces "Idéaux" n'était pas de naître en exil...



© 2008-2024. Sabrina D. - Idéal du Gazeaudernière mise à jour le : dimanche 25 février 2024